PETER - PAN
Pour l'amour de toutes et de tous, aimons-nous vivants!
Monsieur,
Vous vous décidez enfin à me répondre ! Je commençais à désespérer, même si mon obstination me servait de certitude. Je suis heureuse aujourd’hui de savoir qu’en dépit de votre apparent désintérêt vous me lisez toujours avec plaisir et curiosité. Bien sûr, j’aurais été encore plus ravie si vous m’aviez à votre tour proposé quelques divertissements. Mais point trop n’en faut, et je me contenterai de cette bonne nouvelle.
J’aimerais pourtant, si vous le voulez bien, avoir quelques éclaircissements sur cette étrange activité qui vous a occupé ces derniers temps et qui, si j’en juge par la façon dont vous en parlez, devait avoir quelque rapport avec nos préoccupations communes.
Je ne trouve pas juste que ce type d’activité reste clandestin, puisque de mon côté, je vous livre la totalité de ce que je vis et prépare. Je refuse de me contenter d’allusions. A moins qu’elles ne soient suffisamment suggestives pour que j’en fasse mon profit. Excitez mon imagination mais, de grâce, ne me frustrez pas !
Il m’est arrivé de regretter de ne pas en savoir assez sur telle aventure de mes semblables et de ne pouvoir ainsi rajouter à ce que j’aurais su les fantaisies de mon imagination.
Savez-vous que parfois un simple mot peut déclencher en moi toute une série d’idées qui, par associations successives, aboutissent à de véritables romans ?
Il n’y a pas si longtemps, Suzanne (toujours elle !) m’avait laissé entendre à demi-mot que deux de ses amies, aux mœurs un peu « spéciales » et qui vivaient ensemble, avaient jeté leur dévolu sur moi. Elle me dit cela d’un ton si gourmand, avec de tels sous-entendus dans le regard que je me sentis excitée.
Elle refusa toutefois de me dire leurs noms, prétextant que « ce n’était pas son secret » et que j’étais suffisamment avertie de ces choses pour les découvrir par moi-même. Cédant à mes protestations, elle finit par consentir à me les présenter (elles ne seraient cependant pas seules) et me donner quelque chance de bénéficier, si cela m’intéressait, de leur « attention ».
Elle n’a rien trouvé de mieux, figurez-vous, pour me présenter aux dites personnes que de m’inviter à une « vente de charité » rue des Abbesses (!!!). Il y avait là au moins cent personnes, dont quatre cinquièmes de femmes. Elle avait, la perfide, trouvé le moyen de m’embarrasser et de rendre ma quête pour le moins hasardeuse. Mais c’était ne pas (ou trop bien plutôt) me connaître. Je relevai le défi et me mis en chasse.
Je pouvais d’abord éliminer la plupart des femmes que je ne connaissais pas. Il me fallait cependant prendre garde à ne point les éliminer trop vite, dans la mesure où il m’est arrivé de ne pas reconnaître d’emblée des gens que j’avais rencontrés une seule fois.
Je me mis à tourner dans cette foule en feignant de m’intéresser à la vente, observant qui me regardait, cherchant qui pouvait être l’une, l’autre, ou mes deux inconnues. J’essayais, malgré moi, de déterminer qui correspondait à l’idée que l’on peut se faire d’une lesbienne. Je finis par me rendre compte qu’aucune de ces femmes ne l’était ou que chacune pouvait l’être.
Je croisais des regards que je trouvais ambigus, d’autres dont l’indifférence me semblait affectée. Je « mariais » telle et telle femme qui ne se côtoyaient que par les hasards de leurs emplettes. Je crus même, durant un moment avoir mis la main sur mes deux « amies ». Je me rapprochai d’elles, avec l’air de m’intéresser aux objets mis en vente. Au bout de quelque temps, je dus me résoudre à penser que je m’étais trompée.
J’allais m’avouer vaincue lorsque j’aperçus Suzanne, qui arrivait avec deux jeunes femmes ravissantes que j’avais déjà rencontrées chez elle à l’occasion des bridges qu’elle donne chaque mercredi. Elle s’avança gaiement vers moi, feignant d’être surprise de me rencontrer là.
Elle poussa la perversité jusqu’à me demander :
- Dois-je te présenter mes amies*** et***, ou les connais-tu déjà ? *** peint et *** chante. Deux artistes en somme.
Elle ne me laissa pas le temps de répondre et, se tournant vers les deux femmes, elle poursuivit à leur intention :
- Vous connaissez certainement ma très chère ***. Elle ne fait rien…ou si peu.
Elle me prit par le coude et ajouta sur un ton moqueur :
- N’est-ce pas ma chérie ?
Ainsi présentées, elle nous planta là, toutes trois, en lançant un : « Je reviens tout de suite… »
Je me retrouvai face à celles qui me voulaient. Je n’avais sur elles qu’un seul avantage : je savais ce qu’elles espéraient, alors qu’elles n’étaient pas censées savoir « que je savais ».
Nous échangeâmes quelques propos d’une banalité affligeante qui masquaient mal que quelque chose se tramait déjà entre nous et que ce « quelque chose » n’était pas avouable. Nous jouâmes pourtant le jeu et fîmes le tour des comptoirs. J’allais jusqu’à acheter quelques bibelots pour donner plus de crédibilité à ma présence.
Très vite, en maniant les objets qui se trouvaient sur les tables, nous nous mîmes à plaisanter comme de vieilles amies. Cela sonnait peut-être faux, mais c’était l’indubitable preuve que nous souhaitions mieux nous connaître.
Suzanne nous rejoignit et nous entraîna chez elle.
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